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recettes, gastronomie et vin, histoire et économie des produits et filières, terroirs et tradition culinaires, actualité et innovation alimentaire, chefs et lieux...

Les asperges vues par Marcel Proust (A la recherche du Temps perdu, extrait)

(...) Mais mon ravissement était devant les asperges, trempées d'outre-mer et de rose et dont l'épi, finement pignoché de mauve et d'azur, se dégrade insensiblement jusqu'au pied – encore souillé pourtant du sol de leur plant – par des irisations qui ne sont pas de la terre. Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s'étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d'aurore, en ces ébauches d'arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j'en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum.

La pauvre Charité de Giotto, comme l'appelait Swann, chargée par Françoise de les « plumer », les avait près d'elle dans une corbeille, son air était douloureux, comme si elle ressentait tous les malheurs de la terre ; et les légères couronnes d'azur qui ceignaient les asperges au-dessus de leurs tuniques de rose étaient finement dessinées, étoile par étoile, comme le sont dans la fresque les fleurs bandées autour du front ou piquées dans la corbeille de la Vertu de Padoue.

Marcel Proust (A la recherche du Temps perdu, extrait)

François Bonvin, nature morte aux asperges

François Bonvin, nature morte aux asperges

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I
C'est comme peindre avec des mots, délicatement, précisément
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B
je ne connaissais le sens de "pignocher" que celui de " ne manger que quelques miettes de son assiette" ! Ici, la peinture rejoint la cuisine. Bravo.
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