Le concept de l'Agapé Substance ouvert en juin dernier dans le quartier de l'Odéon à Paris, est une cuisine résolument substantifique au sens d'essentielle, centrée sur le produits et travaillée en plusieurs textures. Mais pourquoi Agapè, un des trois vocables grecs évocateurs d'amour ? C'est l'amour pur, qui n'attend rien en retour (dixit), celui que l'on retrouve dans l'amour courtois au Moyen-Age ou encore, un nom que l'on donna jadis à la Cène... David Toutain, christique ? En tout cas inspiré !
On découvre cette cuisine gastronomique et substantifique à travers une multitude de plats-dégustations, ludiques et dressés "minute" devant nous en bout de comptoir. Ne cherchez pas ici de table cosy et romantique pour un tête-à-tête en amoureux mais plutôt un endroit où échanger avec ses voisins de table, où partager avec le tandem de choc qui est à la tête du restaurant : le chef talentueux David Toutain (l'Ambroisie, l'Arpège, gagnaire et j'en passe) et le responsable du service et de la sommellerie, Laurent Lapaire (ancien directeur de salle à l'Arpège). Une longue table de 20 personnes au bout de laquelle, la cuisine ouverte offre à voir les cuissons et surtout les dressages (pour peu qu'on soit au plus près). S'ajoutent 4 tables de 2 personnes offrant un peu plus d'intimité.
David Toutain propose chaque jour des produits-clés, sans que l'on sache de quelle façon et avec quelle association ils seront cuisinés. Il faut être joueur, apprécier le mystère et surtout faire confiance. Idem pour les vins (présentés sur
Ipad) qui sont sélectionnés en fonction du menu que l'on ne connaît pas !
Voici pour vous donner une idée de la "carte" proposée ce jour-là, lors d'un dîner que j'ai partagé avec la charmante Marie-Laure (ca sent beau dans la cuisine) : oeuf, tomate, berce, tourteau, lotte, carotte, cochon, blette, champignon, St Nectaire, farine, basilic pourpre. 99 euros le soir pour donner carte blanche au chef, avec au final 15 mets à déguster ! NB carte plus courte mais moins chère le midi...
Après un verre de Champagne blanc de noirs Fleury, le cochon a orienté un peu le choix du boisson et j'ai opté pour un vin naturel dont j'avais entendu beaucoup de bien sur des blogs oenophiles : Mano a mano 2009 du domaine Matin calme. Un peu de temps pour l'apprivoiser comme souvent les vins naturels mais ensuite, quel bonheur et quel accord sur la quasi totalité des plats, étonnant ! Plus une bouteille de l'eau royale Chateldon...
Je vous laisse découvrir la créativité et la prodigalité du dîner...
La berce en deux textures, spongieuse et mousseuse, gelée de yuzu et tuile de riz (j'aurais pensé à une tuile maltée). La berce était une inconnue à ce jour, j'en ai aimé la saveur végétale et ce démarrage sur les chapeaux de roue côté esthétique se fait en douceur pour les papilles, les réveillant délicieusement par ce jeu de textures tout nuancé que vient "exciter" la pointe d'acidité du yuzu...
Le gazpacho, crème de réglisse, poudre de basilic glacé. Une eau de tomate totalement transparente assaisonnée comme un gazpacho, bluffant ! Et la texture du basilic glacé est vraiment agréable, c'est à la fois solide et ça fond sur la langue. La réglisse est très discrète en revanche.Le tourteau, consommé de carotte et crevette grise, condiment pamplemousse. Le consommé est remarquable de puissance aromatique, sans toutefois malmener la saveur délicate du tourteau ; le tout est relevé par ce condiment, vif et à la légère amertume, qui, là encore titille les papilles, délicieusement...
L'oeuf basse température, amande fraîche, ail confit, émulsion verveine. Un des plats déjà célèbres d'Agapé Substance ! Le duo oeuf-verveine-amande fraîche est une révélation attendue, l'ail confit prolonge la texture fondante du jaune d'oeuf.
Le chipiron, courgette, émulsion lavande. Pas le plat le plus explosif ni le plus abouti, la lavande est sans doute trop subtile, presque transparente... C'est bon mais pas transcendant.
La carotte, purée galanga, émulsion céleri sauvage (probablement, la livèche donc...). Un plat tout en légèreté avec le caractère "terrien" de la carotte et celui plus aérien de la livèche, renforcé par la texture douce, "nuageuse" de l'émulsion.
La lotte, rôtie à la fève tonka, cébette, petit épeautre à la reine des prés. Excellent mariage de saveurs, la reine des prés va très bien avec cette céréale un peu rustique et répond idéalement à la tonka. L'accord avec le vin est exceptionnel, probablement porté par la tonka.
La blette, stilton, couteau. Plat terre-mer puissant entre la note terreuse" de la blette, le caractère iodé du couteau, le lien étant réalisé par le fromage, qui apporte son crémeux et quelque chose de voluptueux.
Les Champignons, pieds bleus et pleurotes jaunes, crumble noisette, émulsion benoîte urbaine, pesto de consoude. Délicieux mariage, même si la benoîte urbaine m'est restée un peu étrangère (après coup, j'ai lu que sa racine rappelait le clou de girofle). La note est légèrement sucrée (le crumble), le croquant est bienvenu et c'est globalement un plat réussi.
Les abats (sans autre explicaton). Des rognons et du gésier, texture plus ou moins ferme et fondante dans une crème de foie gras acidulée de pomme verte. Très bon, et très bon accord avec le vin.
Le cochon, navet, aubergine brûlée, sésame noir. Cochon de Bigorre en deux cuissons : il est cuit à basse température 3 jours, puis "fini" sur teppanyaki (sorte de plancha à température modulable), ce qui lui donne un fondant infini et une couche croustillant, craquante comme s'il était laqué. Excellent plat qui fonctionne évidemment très bien avec le vin.
Très bon Saint Nectaire, suivi des desserts.Glace à la farine de malt, panna cotta lavande, caramel au beurre salé, tuile à la peau de lait. La note aromatique de la glace m'a d'abord fait pensé à la farine de châtaigne dont elle est très proche, avec les saveurs lactées du caramel salé et de la tuile, David Toutain joue subtilement sur le même registre avec des textures différentes, un dessert en forme de démonstration du concept de l'Agapé Substance !
La pêche, sésame noir, meringue gingembre, sorbet pêche/basilic pourpre. Jolis accords dans le crémeux régressif autant que la fraîcheur du fruit, avec un duo pêche/basilic pourpre divin et des meringues très fines, comme des feuilles de meringue craquantes, au sucre relevé agréablement de ma note de gingembre.
Le chocolat, différentes origines, différentes textures... Vous avez compris l'esprit : il y a ici du mousseux, du glacé, du croustillant, du craquant, du fondant, en 3 couleurs et différentes origines de cacao ! On termine en apothéose pour chocophile (et pour les autres aussi !).
Somme toute de grands moments de découverte gustative, de gastronomie, de plaisir. Une belle adresse, y aller pour partager, regarder, apprendre et vivre une expérience. Mais l'idéal est alors de se trouver aux première loges, tout près de la cuisine et du dressage. Or il n'y a que 6 à 8 personnes qui peuvent bénéficier de ce "spectacle".
Agapé Substance
66, rue Mazarine
75006 Paris
01 43 29 33 83