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Par Tiuscha
Frédéric Soret part pour Weimar, où il devient, en même temps que le précepteur du futur grand-duc, l’ami et le confident de Goethe. Grâce au désir intense manifesté par sa cousine Machinka (la passionnée sourde-muette amoureuse de Napoléon) de posséder un autographe du poète, grâce au talent culinaire de Bonne Duval-Alexandre, une Lorraine, mère de Machinka, grâce enfin aux talents diplomatiques de Frédéric Soret, Cartigny entre en 1827 dans la grande histoire littéraire, et figurera dans les Oeuvres complètes de Goethe : sa célébrité sera celle des "confitures de cédrat"(source des textes ci-dessous : Jean Martin - Groupe de Recherches Historiques Cartigny - http://www.grhc.info).
Voici le texte de la lettre adressée par Soret à sa cousine Machinka, le lendemain des négociations avec Goethe :
"[Weimar], jeudi soir 4 décembre [1828].
» Maintenant, chère cousine, je puis répondre à l’aimable lettre que vous m’avez écrite; non point pour vous envoyer de mes vers, mais pour vous offrir mieux encore. J’ai réussi dans ma négociation au delà de toute espérance; les cédrats de ma tante ont fait merveille; embrassez-la pour la peine qu’elle a pu prendre, et réservez-moi une semblable faveur.
(...)
Ce n’est pas tout, ma cousine a une mère célèbre à Genève par le talent avec lequel elle confit les fruits de son jardin, c’est le Goethe des confituriers; comme elle voyait sa fille embarrassée sur les moyens d’obtenir quelques lignes de votre écriture, elle s’est écriée avec enthousiasme : "Ne crains rien, j’offrirai à Goethe de mes bons cédrats contre ses vers; il n’en "aura qu’à cette condition."
- Le marché tient, a interrompu M. de Goethe en riant; je voudrais bien avoir souvent des marchés aussi avantageux; écrivez à vos parentes qu’elles m’envoient les cédrats.
- Les voilà !
- De mieux en mieux, et que n’ai-je fait toujours d’aussi bonnes affaires ! combien de milliers de vers n’ai-je pas donnés, qui jusqu’à présent ne m’ont rien produit ! Dieu merci, vous avez découvert un écoulement avantageux pour mes futurs ouvrages !
(...)
"Vous enverrez d’abord cela à Mademoiselle votre cousine, m’a-t-il dit, en paiement du sucre qu’il aura fallu employer pour confire ces beaux cédrats, je vous enverrai plus tard quelque chose en paiement du travail; personne d’autre que moi ne touchera aux beaux fruits que je viens de gagner, etc."
(...)
» En bon entremetteur, il faut bien que je fasse mon profit de mon côté, les courtiers de change n’en font pas d’autres. Il est vrai que dans l’affaire des cédrats, j’ai été jusqu’à prélever un agio de 33%, c’est beaucoup, direz-vous, mais comment faire pour prendre moins ? J’ai donc mis l’embargo sur le tiers de l’expédition et gardé un cédrat pour ma peine ... Voici à peu de choses près la traduction des vers de Goethe, je n’y ai ajouté qu’un ou deux mots, chevilles indispensables pour pouvoir rimer et m’en tenir aux idées de l’original :
» Heureux pays où l’on voit les cédrats
» Mûrir à point sous de féconds climats !
» Où femme habile en l’art de bien confire
» En mets exquis parvient à les réduire !
» Un si louable, un si rare produit
» Doit attirer l’estime du poète,
» Lorsqu’il savoure une oeuvre aussi parfaite,
» Qu’avec plaisir il reçoit aujourd’hui.
...Fréd. SORET."
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