À des places désignées par un usage immémorial, les oranges, les grenades, les coings dorés, les sorbes, les melons verts et jaunes s’empilent aux éventaires, en tas, en meules, par milliers ; les pêches, figues, raisins s’écrasent dans leurs paniers d’expédition, à côté des légumes en sacs. Les moutons, les petits cabris, les porcs soyeux et roses ont des airs ennuyés au bord des palissades de leurs parcs. Les bœufs accouplés sous le joug marchent devant l’acheteur ; les taureaux, les naseaux fumants, tirent sur l’anneau de fer qui les tient au mur. Et plus loin, des chevaux en quantité, des petits chevaux de Camargue, arabes abâtardis, bondissent, mêlent leurs crinières brunes, blanches ou rousses. [...] Puis les volailles deux par deux, les pattes liées et rouges, poules, pintades, gisant aux pieds de leurs marchandes alignées, avec des battements d’ailes à terre. Puis la poissonnerie, les anguilles toutes vives sur le fenouil, les truites de la Sorgue et de la Durance mêlant des écailles luisantes, des agonies couleur d’arc-en-ciel. Enfin, tout au bout, dans une sèche forêt d’hiver, les pelles de bois, fourches, râteaux, d’un blanc écorcé et neuf, se dressant entre les charrues et les herses.
Alphonse Daudet (Numa Roumestan, extrait)