Emancipée, féministe avant l'heure, sexuellement et socialement libérée, la garçonne de la littérature française (avec Georges Sand) est aussi une femme de vin ! Elle l'apprécie et elle l'a cultivé.
La bourguignonne amateur de toutes les nourritures terrestres nous offre à travers son oeuvre (qui recèle de nombreux éléments autobiographiques) toute l'ampleur de son intérêt pour le vin et la cuisine, ainsi qu'un témoignage de ce qui se mange et se boit alors.
Pour elle, l'eau se boit pour étancher la soif, en dehors des repas, tandis que "le vin c'est, selon sa qualité et son terroir, un tonique nécessaire, un luxe, l'honneur des mets".
Dans sa prime enfance, elle goûte parcimonieusement de grands vins : "je bus du vin tous les jours, très peu à très peu, savourant la gorgée au passage" ; elle acquiert peu à peu de véritables références vinvicoles et une connaissance toujours enrichie des terroirs et des cépages. Elle s'intéresse également au travail de la vigne et aux méthodes de vinification.
"La vigne, le vin sont de grands mystères. Seule, dans le règne végétal, la vigne nous rend intelligible ce qu'est la saveur de la terre. Quelle fidélité dans la traduction ! (...) Quelle journée sans nuage, quelle douce pluie tardive décident qu'une année de vin sera grande entre les années ? La sollicitude humaine n'y peut presque rien, là tout est sorcellerie céleste, passage de planète, taches solaires"
Les vendanges deviennent pour elle une tradition, ainsi qu'une mode pour de nombreux passionnés, un passage obligé pour découvrir "la récolte lente, les paniers pleins, la soif qui croit se satisfaire en mordant la grappe, et qui s'attise..." C'est une fête des yeux, des papilles...
Et bientôt, c'est de ses vendanges qu'il s'agira. La vigneronne décrit avec poésie le travail du vin, la maturation, l'évolution de cette matière vivante. Le sien, celui des autres, le vin est à la fois d'essence divine et naturelle, païenne presque ! Et il est magique...
Evoquant par exemple le beaujolais : "j'abordai le Vin au secret d'une de ses chambres intimes (...) Les grandes portes rabattues, le Cru semblait retiré à même une grotte, et de son haut plafond il me jeta ensemble une chape glacée d'air immobile, la divine et boueuse odeur des raisins foulés, et le bourdonnement de leur ébullition".
Colette est une véritable dégustatrice, elle boit de petites quantités, attentive, concentrée sur le contenu de son verre... Comme toutes les femmes, elle est avant tout une olfactive et décrit merveilleusement les émotions liées aux flaveurs envoûtantes des crus, dans la bouche parfois de ces personnages : dans Chéri, elle parle du "pétillement à l'odeur de rose d'un vieux champagne" ou encore de "l'ardeur musquée du vin d'Asti" dans Claudine à Paris...
Parmi ses vins de prédilection figurent en bonne place ceux de son enfance, les vins doux naturels et liquoreux comme le frontignan (qu'elle dégustait enfant) et le sauternes, les vins de pays, notamment méridionaux, les grands bordeaux (Château-Larose, Château-Laffite..) et bien entendu les bourgognes ! Dans la cave familiale, il y avait des crus fameux (Corton, Chambertin) mais c'est surtout sur le tard qu'elle se passionnera pour les vins de Pommard ou de Gevrey-Chambertin. Et son "must" avec la truffe est un Mercurey, "à défaut d'un grand ancêtre bourguignon au sang généreux"...
"Nous faisons visite, aujourd'hui, à la dissidente qui affronte le Cru, à la Firme qui vend du vin bourguignon : “Analysez-moi, goûtez-moi, dit-elle. Mes vins charrient l'or et le rubis classiques, ils sont purs de mésalliance. (...) J'amasse des vins qui sont originaires des vignobles de Bourgogne. Je groupe, fidèles et épars, des cadets généreux que le Cru, lorsqu'il ne les réquisitionne pas, traite de bâtards sans honneur (...) On trouvera que je traduis, que je résume en des termes tant soit peu lyriques. Mais comment parler froidement, quand il s'agit d'une gloire nationale, du vin de Bourgogne ?".
En cuisine, autant l'alcool est à limiter car trop brutal, autant le vin est un partenaire précieux et une boisson qui allie gaieté et santé, une ressource naturelle indissociable d'un art de vivre gourmand...
D'après la "thèse" de Marie Laure CHAMUSSY BOUTEILLE.