Jules Gouffé, apôtre de la cuisine décorative, fut l'un des grands chefs du XIXème siècle, disciple d'Antonin Carême puis chef impérial au service de Napoléon III. Il habille avec fantaisie et couleur ses pièces salées comme sucrées : pâtés, galantines, pièces montées, entremets, viandes et poissons, tout est prétexte à une sculpture culinaire... Jules Gouffé inspire encore à Boris Vian ses personnages et scènes de l'Ecume des Jours, entre mets originaux du grand cuisinier et recettes loufoque digne du surréalisme de l'auteur, comme "l'andouillon des îles au porto musqué" !
Telle est la double inspiration, littéraire et historique, qui a guidé le chef étoilé de la Petite Maison de Cucuron pour élaborer un menu d'anthologie. Eric Sapet s'est ainsi replongé dans le livre de cuisine de Jules Gouffé (célèbre pourses chromolithographies ainsi que ses planches explicatives) et redonné vie à certaines recettes cultes. Il a également trouvé quelques "morceaux de choix" qu'il a remis au goût du jour, quelques perles de la cuisine du XIXème siècle, toutes de ou inspirées de Jules Gouffé. Formidable recherche historique, superbe créativité et du très bel ouvrage culinaire avec beaucoup de travail, on applaudit ce chef pour son intelligence et son talent (pour lire tout le bien que je pense de ce chef du Luberon, cliquez ici). Vraiment un menu remarquable !
Partons donc ensemble pour ce voyage dans le temps, à la découverte de la cuisine de Jules Gouffé, par le prisme délicieux de celle d'Eric Sapet...
Pour débuter…Aspic de queues d’écrevisses « pattes rouges » - Bisque d’écrevisse Eugénie* avec un AOC Champagne Sélection Petite Maison. Accord idéal que ce soit avec l'un ou l'autre des volets de ce plat : La bisque versée en salle sur l'écrevisse, un plat d'un grand classicisme, éclairé de façon ludique par des champignons enoki, touche asiatique décalée. Du Vian culinaire !
*l'Impératrice bien sûr, Eugénie de Montijo.
L'aspic est une gelée de la bisque corsée d'écrevisse fondante, juste prise sur un mélange à base de moutarde à l'ancienne ou graines de moutarde, excellente façon de pulser l'ensemble, et génial accord avec le Champagne. A la fois une saveur "vintage" et pleine de modernité, grand moment, cet aspic.
Hérisson de foie gras de canard avec un AOC Châteauneuf du Pape blanc Château La Gardine « Cuvée des Générations Marie Léoncie » 2012. Ludique, presqu'enfantin de notre point de vue de gourmets modernes, mais un vrai clin d'oeil à la cuisine décorative d'antan. Les saveurs, quant à elle sont d'une grande justesse entre céleri, pomme et foie gras, admirablement mi cuit, couvert d'un glaçage de jus de viande. Du croquant, du fondant, du doux, de l'acidulé, belle entrée en contrastes. Bon accord avec un vin que j'adore !
Pâté chaud de sole (adaptation plus consensuelle du fameux pâté chaud d’anguille…) avec un
AOC Vouvray Domaine de la Taille au Loup « Clos de la Bretonnière » 2013. Sole parfaitement cuite, épinard, feuilletage, un beurre blanc. Très classique, avec un bien moins classique Vouvray de Jacky Blot, plein de fruit très agrume avec une note de pomme cuite, très acidulé, presque vif et d'une grande tension. Sublime longueur, mais le vin a tellement de puissance, de personnalité, qu'il volerait presque la vedette à la sole...
Perdreau de chasse en chartreuse (Un exemple « à l’assiette » de cuisine décorative) avec un AOC Pernand Vergelesses Rouge, Domaine Marchand 2012. La cuisse est farcie et confite, un pur délice, uen tartine d'abats, divine, des légumes tendres et une réduction qui ne demande qu'à être saucée. Eric Sapet cuisine remarquablement le gibier !
Vin un peu en deça du plat, même si sa fraîcheur acidulée tranche agréablement avec la densité des chairs et de la sauce.
Vacherin Mont-d’or et salade Crépy avec un VDF Cave de Ribeauvillé « Chardonnay » 2010. Service à table, le vacherin est servi à la cuillère, tiède et crémeux, accompagné de la salade, une recette originale de Jules Gouffé, excellente, composée de céleri, champignons, noisettes, relevée de balsamique blanc par le chef Sapet. A refaire !
Bombe glacée Jockey-club* - Riz à l’impératrice** aux poires avec un AOC Sauternes Château Les Justices 2010.
En guise de bombe glacée un parfait (probablement du Grand Marnier ?) aux agrumes, crème citronnée genre curd et macarons au citron. Agréable, beaucoup de fraîcheur et de douceur à la fois. Le riz à l'impératrice est comme un riz très crémeux, un peu pris, une poire pochée au kirsch, des cerises à l'eau de vie, avec une sauce caramel pour plus de gourmandise encore ; vraiment un dessert "vintage" aux saveurs anciennes, un genre de madeleine de Proust... Très beau mariage avec le vin.
*Jules Gouffé officia au Jockey-Club de Paris...
**Le riz à l'impératrice a bien entendu été créé en hommage à l'impératrice Eugénie.
Encore bravo au chef Eric Sapet pour ce repas d'anthologie. Le genre de menu historique qu'il propose régulièrement, ainsi que des repas thématiques avec des accords mets-vins, clin d'oeil tantôt à une région viticole, tantôt à un vigneron, menu autour d'un produit de saison (truffe, gibier, homard, morille, etc...) Surveillez les événements à la Petite Maison de Cucuron, dans la page "vendredis des gourmets"...
La Petite Maison de Cucuron
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Tel 04 90 68 21 99