Surtout consommée en été, la bière tente une percée de l’automne au printemps, poussée en avant par les brasseurs qui rivalisent d’imagination pour la mettre sur le devant de la scène culinaire. Cette désaisonnalisation passe également par deux temps forts, comme le lancement de la bière de Noël et celle de Mars. Mais loin d’être un seul événement marketing, la « bière de Mars » correspond à une tradition ancienne : on la fête chaque année dès le début du Printemps, depuis 6 siècles !
Tradition du Nord, la bière de Printemps a vu le jour à Arras en 1394 ; c’était la première bière de garde à sortir des fûts, après celle de Noël, née d’un brassage hivernal des dernières récoltes d’orge (variétés de printemps : Alexis, Prima, Scarlett, Cork, Nevada) et de houblon : elle était conservée 3 mois dans la fraîcheur des caves, avant d’être dégustée aux premiers jours du Printemps. Au XIVème siècle, lorsque les premières barriques de ce brassin étaient livrées aux tavernes, leur arrivée était annoncée par un bouquet de genévrier suspendu au-dessus de la porte ; la fête commençait alors. Et tandis que les tonneaux de la bière de mars se vidaient, le brasseur préparait une nouvelle bière de garde destinée à être consommée pendant l’été. Aujourd’hui, cet héritage brassicole renaît, double hommage au savoir-faire ancestral des hommes et au rythme naturel des saisons...
Ailleurs, dans les autres pays de tradition brassicole, on trouve également des bières de Printemps comme la Märzen allemande ou la spring beer anglaise ; en Suisse Romande on la nomme « bière des rameaux » et en Irlande, la bière de mars se superpose aux festivités de la Saint Patrick, patron de l’Irlande autant que des brasseurs ! D’une belle couleur dorée à ambrée, la bière de mars est douce et fraîche ; elle présente une légère amertume et une mousse aérienne. Elle titre 4,5 à 5,5° maximum et on la sert bien fraîche à l’apéritif et autour de 8°C à table.
Elle doit être brassée en faible quantité (limitée à 60 000 hl) avec des orges récoltées entre le 14 juillet et le 15 août, et elle est servie surtout à la pression, entre le 1er (mais depuis quelques années, on en trouve aussi en grandes surfaces). A la fermentation, les bières de mars développent des arômes divers selon l’origine des levures et des houblons ; les brasseurs rivalisent d’imagination pour faire naître des fragrances typées : caramel, parfums floraux, miel, épices...
Autant de diversité selon les brassins autorise de nombreux mariages gastronomiques : la bière de mars se marie idéalement avec des fruits de mer et poissons, cuits, crus ou fumés, accompagnés le cas échéant d’une sauce légère. Elle accompagne également la cuisine chinoise, en particulier les sauces aigres-douces et les associations sucrées-salées ou légèrement épicées. Sur les fromages, on jouera les accords locaux et sur les desserts, on tentera une dégustation de bière florale et fruitée sur un dessert aux fruits, ou en accompagnement de mets « caféinés », chocolatés ou caramélisés avec une bière plus « maltée »...
NB cet article a été publié dans Fureur des Vivres en 2011