Eric Sapet est un chef que j'apprécie beaucoup pour ses qualités humaines autant que ses talents culinaires, mais ce que j'aime aussi c'est sa curiosité et son amour du patrimoine, de l'histoire de la gastronomie. J'essaie de ne manquer aucun de ses repas à thème historique à la Petite maison de Cucuron comme celui des mères lyonnaises (argh, sans recension sur le blog, comment est-ce possible, raison de plus pour publier ce billet, même avec retard) ou celui consacré à Jules Gouffé par exemple.
Ce dîner, dédié à la Tour d'argent, est très particulier, outre la maestria de l'artiste, car c'est là qu'il a fait ses premiers pas dans le métier il y a 35 ans. Il existe un attachement fort à cette maison où il a passé ses années de noviciat. Alors étudiant en école d'ingénieur, il y est entré comme on travaille comme caissier ou opérateur en informatique pour payer ses études. Mais la passion l'a pris, il a lâché son parcours scientifique pour celui de cuisinier et a donc passé 4 ans en cuisine à la Tour d'argent. Ainsi commence l'histoire...
Place à ce repas d'anthologie entrecoupé par les apparitions du chef et ses anecdotes aussi savoureuses que ses plats, ainsi que les explications historiques bien sûr.
En amuse bouche, une trilogie iconique de la Tour d'argent, servie avec un Champagne de la Maison Louis Roederer.
- la terrine de foie gras des Trois Empereurs et sa brioche. Le foie gras truffé est absolument divin. Texture fondante et saveur rehaussée par des lamelles de truffes qui, pour cette saison (nous étions en novembre), sont extrêmement parfumées. Notre favori du trio !
Pour la petite histoire (de la grande), la terrine de foie gras d'oie aux truffes fut refusée à Guillaume 1er, Roi de Prusse, au Tsarévitch Alexandre III et au Tsar de toutes les Russies, Alexandre II en juin 1867 car cela n'était pas la saison. La terrine fut préparée dès l'automne suivant pour Alexandre II.
- la quenelle de brochet André Terrail, du nom de l'homme qui a réuni les recettes fameuses d'Adolphe Dugléré au Café Anglais et celles de Frédéric Delair, à la Tour d'argent dont il a pris la succession et qui a donné au début du XXème siècle ses lettres de noblesse et sa notoriété au restaurant parisien.
Excellente quenelle, légère en bouche, un nuage, comme nous avions pu apprécier cet emblématique de la cité des gones lors du dîner des mères lyonnaises.
- Le consommé Claudius Burdel, du nom du sommelier du Café Anglais, celui là même qui servit les vins lors du dîner des Trois Empereurs. Il se compose d'oseille, crémé-acidulé, plein de peps, sapide, salivant pour démarrer, puis continuer l'aventure...
Première entrée, la terrine de langouste et ris de veau sauce aurore, est servie avec un Saumur blanc, Château du Hureau 2014. La sauce aurore a été revue et corrigée par le chef, seule entorse à la tradition, pour une texture plus légère mais tout réside ici dans les cuissons et ce mariage terre-mer entre les ris et la langouste, avec un voisinage des chairs vraiment étonnant. Un plat avec beaucoup de mâche et de caractère auquel répondait bien la nervosité du vin.
Le filet de sole à la Cardinale s'accompagne d'un magistral Pouilly Fuissé, Domaine Girard "Prestige" 2015. La dénomination "à la Cardinale" est bien sûr liée au rouge de l'écrevisse. Un grand plat d'un bel équilibre et riche en saveurs denses, profondes, un grand vin, le menu va crescendo...
La mythique poitrine de canard de Challans au sang (sans la non moins mythique presse), à base de canards de Challans, tous auprès du même producteur avec un petit carton stipulant que je suis la carnassière heureuse dévoratrice du canard n°18 ! Cette pratique est l'héritage de Frédéric Delair, le prédécesseur d'André Terrail, qui a créé et codifié la recette et qui, à partir de 1890, numérotait chaque canard servi.
Le canard d'Eric Sapet est à la hauteur du mythe. Rosé, il est d'une grande tendreté, accompagné de sa sauce onctueuse sans être trop grasse, un délice. Il est dégusté ici en accord avec un Palette rouge, Château Crémade 2010.
Canard toujours, la cuisse grillée, salade Roger. Beaucoup de fraîcheur dans ces racines crues, avec la gourmandise de grattons de canard en plus.
Le dessert est une marquise au chocolat, sauce et glace au café en accord, très réussi, avec un Xérès Pedro Ximenez Maison Lustau "San Emilio". Fondante à souhait, très bonne mais la glace surtout est remarquable, une saveur profonde de café, voluptueuse, persistante. Excellente façon de terminer le repas, avec, si l'on manquait de sucre, les mignardises habituelles. Et Rhum en digestif pour Monsieur, siroté en discutant avec le chef...
Pour terminer, voici en images, quelques photos de la carte de la Tour d'argent...
Un grand bravo à Eric Sapet pour ce grand dîner, sa présence, sa générosité.
La Petite Maison de Cucuron
Place de l'Étang 84160 Cucuron
Tel 04 90 68 21 99
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