L’osmazôme popularisé par Anthelme Brillat-Savarin dans sa Physiologie du goût, est indissociable de la réalisation d’un bon bouillon, qui fait tout le débat entre les partisans du départ à froid ou pas du pot-au-feu... Mais qu’est donc cet osmazôme que mentionne encore Hervé This aujourd’hui et qui fut à l’origine de nos « bouillons-cubes » ?
L’osmazôme, qu’est-ce ?
Louis Jacques Thénard, chimiste français, a été le premier à imaginer la notion d’osmazôme, nom créé à partir des termes grecs signifiant « odeur » et « bouillon » : l’osmazôme est alors une substance identifiée et décrite par un autre chimiste, Pierre Thouvenel en 1870, un « extrait savonneux de la viande ». L’osmazôme est « d'un brun rougeâtre, d'une odeur aromatique particulière, très-sapide, déliquescente, soluble dans l'eau et dans l'alcool, azotée, et néanmoins passant difficilement à la fermentation putride » ; c’est « l’extrait de viande », le concentré aromatique de la viande qui donnera naissance un peu plus tard à nos bouillons-cubes, créés par le baron Von Liebig, chimiste allemand. Même si les prémices de « portable soup » sous forme de tablettes de soupe desséchée sont identifiées en Angleterre dès la fin du XVIIIème siècle…
NB rectificatif : le condensé de saveur qu'est le produit anglais Marmite est obtenu à partir d'extrait de levures etd e végétaux. Vous aviez rectifié en cliquant sur le lien :)
L’osmazôme pose les bases de la réaction de Maillard car Thénard comme Thouvenel relient ce principe actif de torréfaction, de caramélisation à cette substance, en tant que principe unique, ce qui sera démenti par la suite, la réaction de Maillard étant la résultante de plusieurs modifications chimiques complexes à partir de plusieurs molécules.
Pas de bon bouillon sans osmazôme
Dans le pot-au-feu, on distingue le bouillon qui concentre les éléments sapides de la chair animale, et le bouilli, la viande bouillie qui subsiste après l’opération. Brillat-Savarin précise sa définition « On appelle pot au feu un morceau de bœuf destiné à être traité à l'eau bouillante légèrement salée, pour en extraire les parties solubles » ; il explique que l’eau dissout une première partie d’osmazôme, puis l’albumine (qui forme l’écume que l’on enlève), enfin la fin de l’osmazôme avec l’élément d’extraction aromatique, le « jus ».
NB pour les curieux qui voudraient en savoir plus sur l'histoire du pot-au-feu et son universalité, c'est par là
Dans son dictionnaire, Alexandre Dumas Père, reprend le principe d’osmazôme de Brillat-Savarin : « L'osmazôme est cette partie éminemment sapide de viande qui est soluble à l'eau froide et qui se distingue de la partie extractive en ce que cette dernière n'est soluble que dans l'eau bouillante ; c'est l'osmazôme qui fait la valeur des bons potages, c'est lui qui en se caramélisant forme le roux des viandes, c'est par lui que se forme le rissole des rôtis, enfin c'est par lui que sort le fumet de la venaison et du gibier. L'osmazôme se tire surtout des animaux adultes à chair noire qu'on est convenu d'appeler chair faite ; on n'en trouve point ou presque point dans l'agneau, le cochon de lait, les poulets, et même dans le blanc des plus grosses volailles ; c'est la présence de l'osmazôme, dit Brillat-Savarin, qui a fait chasser tant de cuisiniers convaincus de distraire le bouillon, c'est elle qui a fait adopter les croûtes au pot comme confortatif dans le bain et qui a fait inventer au chanoine Chevrier des marmites fermant à clef ; c'est le même à qui on ne servait jamais des épinards le vendredi qu'autant qu'ils avaient été cuits le dimanche et remis chaque jour sur le feu avec une nouvelle addition de beurre frais. Enfin c'est pour ménager cette substance, quoique encore inconnue, que s'est introduite la maxime que pour faire de bon bouillon, la marmite ne devait que sourire. »
Démarrage à froid ou à chaud ?
L’osmazôme est soluble dans l’eau froide, la logique voudrait donc que l’on démarre à l’eau froide, pour une extraction lente des éléments aromatiques des chairs. Un démarrage à l’eau chaude va en effet « saisir » les viandes, formant une carapace protectrice empêchant la diffusion des éléments sapides : les arômes restent dans la chair, on obtient alors une viande plus goûteuse mais par ricochet, un bouillon qui l’est moins…
Antonin Carême écrit dans L’Art de la grande cuisine française : « Le bouillon doit venir à l'ébullition très lentement sinon "l'albumine coagule, se durcit ; l'eau n'ayant pas eu le temps nécessaire de pénétrer la viande, empêche la partie gélatineuse de l'osmazôme de s'en dégager. »
La solution ? Démarrer à l’eau froide, avec les viandes les plus « sapides », les bas morceaux riches en gélatine (autre élément majeur pour la qualité du bouillon), puis ajouter en cours de cuisson les viandes plus nobles qui garderont leur goût…
Lecture du texte original
OSMAZOME (extrait de la Physiologie du goût d’Anthelme Brillat-Savarin)
28. — Le plus grand service rendu par la chimie à la science alimentaire, est la découverte, ou plutôt la précision de l'osmazôme.
L'osmazôme est cette partie éminemment sapide des viandes, qui est soluble à l'eau froide, et qui se distingue de la partie extractive, en ce que cette dernière n'est soluble que dans l'eau bouillante.
C'est l'osmazôme qui fait le mérite des bons potages ; c'est lui qui, en se caramélisant, forme le roux des viandes ; c'est par lui que se forme le rissolé des rôtis; enfin, c'est de lui que sort le fumet de la venaison et du gibier. .
L'osmazôme se tire surtout des animaux adultes à chairs rouges, noires, et qu'on est convenu d'appeler chairs faites; on n'en trouve point, ou presque point, dans l'agneau, le cochon de lait, le poulet, et même dans le blanc des plus grosses volailles : c'est par cette raison que les vrais connaisseurs ont toujours préféré l'entre-cuisse ; chez eux l'instinct du goût avait prévenu la science.
C'est aussi la prescience de l'osmazôme qui a fait chasser tant de cuisiniers, convaincus de distraire le premier bouillon ; c'est elle qui fit la réputation des soupes de primes, qui a fait adopter les croûtes au pot comme confortatives dans le bain, et qui fit inventer au chanoine Chevrier des marmites fermantes à clef; c'est le même à qui l'on ne servait jamais des épinards le vendredi, qu'autant qu'ils avaient été cuits dès le dimanche, et remis chaque jour sur le feu, avec nouvelle addition de beurre frais.
Enfin, c'est pour ménager cette substance, quoique encore inconnue, que s'est introduite la maxime que, pour faire de bon bouillon, la marmite ne devait que sourire, expression fort distinguée pour le pays d'où elle est venue.
L'osmazôme, découvert après avoir fait si longtemps les délices de nos pères , peut se comparer à l'alcool, qui a grisé bien des générations, avant qu'on ait su qu'on pouvait le mettre à nu par la distillation.
A l'osmazôme succède, par le traitement à l'eau bouillante, ce qu'on entend plus spécialement par matière extractive : ce dernier produit, réuni à l'osmazôme, compose le jus de viande.
Article publié en 2011 sur Fureur des vivres