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8 décembre 2013 7 08 /12 /décembre /2013 16:06

Quand nous avions des oranges… Les nommer, depuis qu’elles nous manquent, c’est assez pour susciter, sur nos muqueuses sevrées, la claire salive qui salue le citron frais coupé, l’oseille crue, la mordante pimprenelle. Mais notre besoin d’oranges dépasse la convoitise. Nous voudrions en outre voir des oranges. Nous pensons à ce reflet, cette lumière de rampe qui montait des poussettes chargées aux visages penchés dans la rue. Nous voudrions acheter un kilo, deux, dix kilos d’oranges. Nous voudrions soupeser, emporter ces branches coupées, porteuses de feuillages vernissés et de mandarines, qui jalonnaient les étals du cours Saleya à Nice, tout le long du marché aux fleurs. Nous avons une terrible envie de ces paniers ronds qui parfumaient notre chambre d’hôtel et que nous envoyions à nos amis parisiens (la marchande ajoutait, sous le couvercle, un bouquet de violettes et le brin de mimosa…).

picasso nature morte citron oranges

Nature morte au citron et aux oranges, pablo Picasso


Ces petits souvenirs-là, comme ils sont acides, irritants… Leur vivacité d’évocation nous fait un peu lâches. Il y avait aussi ces minuscules mandarines du pays renflées sur leur équateur et qui, sous l’ongle, répandaient par leurs pores une huile essentielle abondante… Il y avait cette excellente friandise italienne qui consiste en quelques grains de raisin muscat confits dans du vin liquoreux, ridés au soleil, momifiés et capiteux, roulés dans des feuilles de vigne. Il y avait ces fruits glacés de sucre, imprégnés de sucre, qui n’étaient plus que sucre, transparence vitreuse comme celle des pierres semi-dures, abricots-topaze, melons-jade, amandes-calcédoines, cerises-rubis, figues-améthystes… Un jour à Cannes j’ai vu une barque de sucre coloré, débordante d’une cargaison de fruits confits. Deux passagers y eussent tenu à l’aise. Quelle gourmande, quel enfant gâté avait embarqué son rêve à bord d’un pareil esquif ? J’entrai… « C’est vendu, madame. – Et vendu combien ? – Cinq mille francs. » Cinq mille francs d’avant-guerre, cinq mille francs de 1931…

 

On me reprochera d’aborder, non sans sadisme, un sujet pénible ?… Je proteste que nous sommes entraînés, depuis un bout de temps, à regarder en face et fermement les biens dont la guerre nous prive. C’est d’une bonne gymnastique mentale. D’ailleurs, tel qui ne bronche pas devant une plaque de chocolat faiblit à l’idée d’une fraîche orange parée encore d’une petite feuille à sa queue. J’avoue que je suis de ces derniers. Une orange… mais pas n’importe quelle orange. L’éducation des Occidentaux est encore à faire. Les entendiez-vous demander, au restaurant : « Vous me donnerez une orange », comme s’il n’y avait au monde qu’une espèce, qu’un cru, qu’un arbre, qu’une multitude indistincte d’oranges…

 

J’écris ces lignes au mois de février. C’est le moment où dans les années paisibles nous savourions les tunisiennes, élite des orangeraies. Ovale, un peu vultueuse autour du point de suspension, la tunisienne emplit la bouche d’un suc sans fadeur, d’une acidité adoucie, largement sucrée. Intacte, son écorce exhale un parfum qui rappelle celui de la fleur d’oranger. De décembre à février, c’est la brève saison de nous gorger de tunisiennes. Comme font les crus très typés qui de bouteille à bouteille marquent une différence, une tunisienne n’est pas tout à fait identique en saveur à une autre tunisienne, et la nuance encourage à ouvrir encore une orange, et encore une, encore une qui sera peut-être la meilleure de toutes…

 

Après la tunisienne, j’avais la philippeville, qui ne l’égale pas mais la remplace, mouille bien la bouche, se sucre agréablement si l’année a été soleilleuse. Puis venait la palermitane, en même temps que les grandes envies de boire qu’amènent mars et avril. Le soleil montant de concert avec le thermomètre, il me fallait plus tard recourir aux oranges du Brésil et aux espagnoles. Mais l’Espagne garde pour elle ses meilleurs fruits et nous accusons, à tort, toutes les oranges d’Espagne de nous laisser une arrière-saveur d’oignon cru.

 

Pour finir, la folle consommation d’orangeades amenait à Paris et sur les plages une petite orange qui mûrit tardivement sur de froids plateaux ibériques. Elle était la très bienvenue, à l’heure où nous quittaient les cerises, et les fraises qui passent comme un songe.

signac-nature-morte-au-livre-et-aux-oranges.jpgPaul Signac - Nature morte au livre et aux oranges


Dans le Midi nous achetions à pleins couffins la laide orange d’été, pour presser sa chair petite et pâle, corser son jus en le mêlant à celui du citron frais cueilli. Car si le citron provençal est digne d’humecter le poisson et le coquillage, l’orange locale n’est guère que l’ornement des enclos fleuris, la jaune lune des jardins, l’appoint d’une confiture de ménage. Ne lui faites pas plus loin crédit. Honorez plutôt la figue seconde, qui des plus belles heures de l’été fait son miel, s’enfle de rosée nocturne, et verte ou violette pleure, par son œil, un seul pleur de gomme délicieuse, pour vous marquer l’instant de sa perfection. Mangez-la sous l’arbre, et si vous tenez à ma considération, ne la mettez jamais au frais, ni – horreur et sacrilège ! – dans la glace pilée, tout-aller, pis-aller inventé par les rudes palais américains, qui paralyse toute saveur, ankylose le melon, anesthésie la fraise et change une rouelle d’ananas en fibre plus textile que comestible.

 

Tiède le fruit, froide l’eau dans le verre : ainsi l’eau et le fruit semblent meilleurs. Que penser d’un fruit qui s’éloigne, comme se refroidit une planète, de la chaleur qui l’a formé ? Un abricot cueilli et mangé au soleil est sublime. L’heure passée dans une orangeraie marocaine est aussi vive à ma mémoire et à ma gratitude que si j’avais encore, sous les ongles, la ligne jaune qu’y laisse un gaspillage d’oranges très mûres. Foncées, assez petites, une joue parfois frottée de rouge vif, à dix heures du matin en avril elles étaient déjà tièdes, quand la longue herbe printanière, à nos pieds, nous rafraîchissait encore les chevilles. Un de nous s arrêtait-il comme par discrétion, le serviteur marocain étendait son bras vers l’horizon et riait, pour nous faire comprendre que plus loin, et jusqu’à perte de vue, d’autres tangérines nous attendaient, innombrables…

 

Marrakech nous donna davantage encore. Des eaux pures, des roses, des rossignols qui à un certain signe nocturne éclataient tous à la fois, des aurores précipitées qui envahissaient le ciel comme un incendie – et des oranges dans les orangers du pacha Si Hadj Thami el Glaoui. Opulentes orangeraies d’un maître tout ensemble avisé et fastueux, secret alignement de ce qui paraît, au premier abord, désordonné et provocateur, quels soins produisaient, protégeaient de telles récoltes ! Leur parfum, tombant de haut, traînait à ras de terre et nous barrait presque le passage. Des pétales de cire ne cessaient de pleuvoir, entraînant dans leur chute les abeilles ivres ; elles touchaient avec eux le sol, se relevaient poudreuses et regagnaient les fleurs suspendues parmi les fruits. À son tour une orange tombait, longue, lourde orange en forme d’œuf, qui s’ouvrait en touchant le sol et saignait de sa chute un sang rosé… Non loin, les murs roses de la ville, sur un ciel que pâlissait déjà la chaleur, limitaient ce paradis – paradis d’ailleurs bien gardé ; si je tendais la main vers ses pommes d’or, le bras de l’ange marocain, noueux et noir, perçait les feuillages, brandissant un bâton… Mais sur un mot de notre guide, le bras de bronze, un moment résorbé, reparaissait, offrant sur sa paume sombre une juteuse orange.

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commentaires

G
<br /> Du coup, je vais m'en ouvrir une. J'en ai une sur mon bureau - pas au frais - j'espere qu'elle tiendra ses promesses.<br />
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