"Je ne vous ai rien appris sans doute de bien nouveau. Le vin est connu de tous ; il est aimé de tous.
Quand il y aura un vrai médecin philosophe, chose qui ne se voit guère, il pourra faire une puissante étude sur le vin, une sorte de psychologie double dont le vin et l'homme composent les deux termes. Il expliquera comment et pourquoi certaines boissons contiennent la faculté d'augmenter outre mesure la personnalité de l'être pensant, et de créer, pour ainsi dire, une troisième personne, opération mystique, où l'homme naturel et le vin, le dieu animal et le dieu végétal, jouent le rôle du Père et du Fils dans la Trinité ; ils engendrent un Saint-Esprit, qui est l'homme supérieur, lequel procède également des deux.
Il y a des gens chez qui le dégourdissement du vin est si puissant que leurs jambes deviennent plus fermes et l'oreille excessivement fine. J'ai connu un individu dont la vue affaiblie retrouvait dans l'ivresse toute sa force perçante primitive, Le vin changeait la taupe en aigle, un vieil auteur inconnu a dit : Rien n'égale la joie de l'homme qui boit, si ce n'est la joie du vin d'être bu, En effet, le vin joue un rôle intime dans la vie de l'humanité, si intime que je ne serais pas étonné que, séduits par une idée panthéistique, quelques esprits raisonnables lui attribuassent une espèce de personnalité. Le vin et l'homme me font l'effet de deux lutteurs amis sans cesse combattant, sans cesse réconciliés. Le vaincu embrasse toujours le vainqueur, Il y a des ivrognes méchants ; ce sont des gens naturellement méchants. L'homme mauvais devient exécrable, comme le bon devient excellent."