Il avait faim ; faut lui faire à manger. Donc, tout en graissant sa poêle pour lui faire frire quelque chose, elle lui raconte comment elle a vendu son chanvre, en bavardant à la manière des femmes, mais elle ne dit rien des cochons, ni du monsieur tué, mangé, volé. Elle fait donc flamber sa poêle pour la nettoyer. Elle la retire, veut l’essuyer, mais la trouve pleine de sang.
– Qu’est-ce que tu as mis là-dedans ? dit-elle à son homme.
– Rien, qu’i’ répond.
Elle croit avoir une lubie de femme, et remet sa poile au feu...
Pouf ! une tête tombe par la cheminée.
– Vois-tu ? c’est précisément la tête du mort, dit la vieille. Comme il me regarde ! Que me veut-il donc ?
– Que tu le venges ! lui dit une voix.
– Que tu es bête ! dit le chanverrier. Te voilà bien avec tes berlues qui n’ont pas le sens commun.
Alors il prend la tête, qui lui mord le doigt, et la jette dans sa cour.
– Fais mon omelette, qu’i’ dit, et ne t’inquiète pas de ça. C’est un chat...
– Un chat ! qu’elle dit, il était rond comme une boule...
Elle remet sa poêle au feu.
Pouf ! tombe une jambe.
Même histoire. L’homme, pas plus étonné pour le pied que pour la tête, empoigne la jambe et la jette à sa porte.
Finalement, l’autre jambe, les deux bras, le corps, tout le voyageur assassiné tombe un à un. Point d’omelette. Le vieux marchand de chanvre avait bien faim.
– Par mon salut éternel, dit-il, si mon omelette se fait, nous verrons à satisfaire cet homme-là.
– Tu conviens donc maintenant que c’est un homme ? dit la bossue. Pourquoi m’as-tu dit tout à l’heure que c’était pas une tête, grand asticoteur ?
La femme casse les œufs, fricasse l’omelette, et la sert sans plus grogner, parce qu’en voyant ce grabuge elle commençait à être inquiète. Son homme s’assied et se met à manger. La bossue, qui avait peur, dit qu’elle n’a pas faim.
Les oeufs - Antoine Vollon