Le philosophe était amateur de bonne table, de bons vins, il édicte cette loi qui prévaut à ses futurs repas, un soir d'agapes bien arrosées !
Article premier : nous mangeons à la même table. Aucun de nous ne doit murmurer si telle ou telle denrée nécessaire à la vie n'y serait en abondance ou même n'y manquerait absolument. Par exemple, quoique peu vraisemblable qu'il n'y eût pas de pain, faudrait-il faire du bruit pour cela ? Non, les gateaux feuilletés, les biscuits du palais, les meringues à la crème le remplaceront aisément. De même, on ne doit pas être inquiet si les viandes de boucherie sont rares, elles peuvent être suppléées par des dindes aux truffes, des jambons de Mayence, des chapons du Mans, des hures de sanglier, ou selon la saison, par des perdrix rouges. Si les sardines de Marseille, les harengs secs de Hollande, les merluches des îles de Miquelon nesont pas encore venus, on se jetterait sur les brochets, les truites, les carpes du Rhin, et les anguilles de la Seine. En y ajoutant les huîtres de Cancale ou les vertes d'Angleterre. Après avoir mangé tant de belles et bonnes choses, il doit être question des vins et quoique nous ne soyons pas de grands buveurs, les vins de Suresnes, de Brétigny, et des environs de Vitry devraient nous suffire. Avec de bons mets, ils faut de bons vins, tels que du Cap de Bonne-Espérance, de Malaga, de Chypre, de Madère, et du Clos Vougeot de Bourgogne. Avec tout cela, le dessert ne doit jamais manquer, mais supposez qu'il n'y eût ni noisettes, ni nèfles, ni poire de martin sec ou autres fruits du pays, dans ce cas, nous mangerions et très volontiers, des ananas, des olives de Provence, des figues sèches d'Italie, des oranges de Malte et des dattes du Levant. Et si pour faire une digestion parfaite, le fromage carré de Marolles serait introuvable, ceux de Parmesan et de Roquefort, seraient mis à la place. Le café moka ne sera pas oublié, il servira au lieu de thé pris très complètement.
Source Diderot, le génie débraillé, par Sophie Chaveau